samedi 5 septembre 2020

Le président et miss Wade - Rob Reiner, 1995

En flânant sur Netflix alors que je ne parvenais pas à dormir (y'a des nuits comme ça), je suis tombée sur The American President, avec Michael Douglas et Annette Benning dans les rôles principaux. Ce film date de 1995 et a été écrit par Aaron Sorkin. Ces deux informations sont essentielles, nous le verrons plus tard.

Sur le papier, nous avons une comédie romantique. Mettez deux individus qui n'ont pas grand-chose en commun, faites-les se rencontrer de manière amusante, laissez l'alchimie faire son travail, mettez-y un élément perturbateur, une rupture et des retrouvailles, et vous obtenez la trame classique de ce genre de film. Vous voulez un film marrant aux scènes parfois invraisemblables mais pour un ensemble assez charmant ? Confiez le scénario à Richard Curtis (4 mariages et 1 enterrement, Notting Hill, Love Actually). Vous voulez un film un peu plus piquant avec une critique de la politique et des médias ? Confiez le boulot à Aaron Sorkin.

Je n'avais qu'un vague souvenir de ce Président et Miss Wade. A vrai dire, je me souvenais l'avoir vu, mais je ne me souvenais plus quand, ni de ce qu'il s'y passait vraiment. Bref, il était parti aux oubliettes comme beaucoup de films vus il y a longtemps. Mais entre temps, j'ai vu The West Wing, j'ai vu The Social Network, j'ai vu The Newsroom. Le point commun? Aaron Sorkin, encore lui.

Mais d'abord, de quoi ça parle?

Andrew Shepherd est le président démocrate au taux d'approbation de 63%, et donc bien parti pour gagner un second mandat. L'action se passe durant l'année cruciale qui conduit aux élections présidentielles. Il a deux propositions de loi sur le feu. L'une pour contrôler le crime (et donc les armes) que les Rébuplicains ne veulent pas et que les Démocrates jugent trop faible. L'autre pour imposer une réduction des gaz à effet de serre de 20%. Autant dire que faire passer ces deux lois va demander pas mal de boulôt de persuasion... Entre en scène Sydney Ellen Wade, lobbyiste environnementaliste engagée pour convaincre Shepherd de conserver la réduction de 20% pour s'assurer du soutient des lobbies écolos. La rencontre entre les deux est drôle, maladroite, avec un Michael Douglas goguenard et une Annette Benning adorable et au timing comique au poil. Ils vont se revoir, tomber amoureux... Et le sénateur Rumson, candidat républicain pour la présidence en profite pour attaquer Shepherd sur son caractère et son manque de valeurs.

L'alchimie entre les acteurs est là, y compris avec les seconds rôles, interprétés entre autres par Martin Sheen, Michael J. Fox, Samantha Mathis. Une belle brochette d'acteurs, ça fait toujours plaisir. Les situations comiques sont discrètes mais efficaces. Les dialogues sont ciselés et dynamiques. La romance est là, bien évidemment. Et en fait de comédie romantique, Aaron Sorkin et Rob Reiner nous livrent une véritable étude de caractère. Le film se fait miroir à lui-même, avec le sénateur Rumson (Richard Dreyfus), qui attaque la vie privée de son concurrent, attaque Sydney Wade et ses moeurs, le tout avec la complicité des médias. Pendant une grande partie du film, Shepherd ne répond pas, disant que sa vie privée n'a rien à voir, et que ça finira par se tasser. Mais il perd des voix, il perd le soutient de la population et des grands électeurs, jusqu'à devoir enterrer l'accord sur les 20% de réduction de gaz, et ce malgré les avertissements de son équipe. 

Que faire quand on attaque le caractère plutôt que les actes ? Les attaques ad hominem sont monnaie courante et dénotent souvent un manque d'arguments solides pour défendre son cas. Faut-il laisser couler, entrer dans le jeu ? Sorkin décrit les conséquences du laissez-faire. Il y a un dialogue entre Lewis (MJ Fox) et le président qui résume bien à quel point c'est pernicieux et dangereux. Les gens qui n'ont rien à boire finissent par boire le sable. Ce à quoi Shepherd répond que les gens boivent le sable parce qu'ils ne savent pas faire la différence avec de l'eau.

La critique de Sorkin est là. Les gens boivent les paroles de Rumson parce qu'ils n'ont rien d'autre à se mettre sous la dent. Mais aussi parce qu'ils ne sont pas conscients de bouffer du sable, que ce n'est pas le fait d'avoir une petite amie qui fait de Shepherd un mauvais président ou une mauvaise personne. Il y a toute l'hypocrisie de la société bien-pensante qui y passe. Ce qui rend ce film bien plus intéressant qu'il n'y parait de prime abord.

Autre trait Sorkinien, les idéaux politiques. Ce film date de 1995. Il a exactement vingt-cinq ans. Où en sommes-nous en 2020 ? Toujours au même point. Autant de bâtons dans les roues pour qui veut régulariser la vente et le port d'armes. Toujours des barrières levées contre qui veut réduire les émissions de gaz. Toujours autant d'hypocrisie sur la religion, le caractère. Et c'est encore plus flagrant aujourd'hui avec Trump. La pensée Sorkinienne se retrouve aussi dans the West Wing (A la Maison Blanche), créée quelques années plus tard avec Martin Sheen dans le rôle du président, cela se retrouve aussi dans The Newsroom, série beaucoup plus récente sur les dessous d'une chaine d'information.

D'ailleurs Le Président... et The Newsroom commencent quasiment par la même question, le même constat. Les USA ne sont pas (plus) le meilleur/plus grand pays du monde. The West Wing comporte beaucoup d'éléments tirés de réécritures du scénario du Président... Par exemple, l'histoire du nombre de votes à obtenir.

Le Président et Miss Wade représente donc une ébauche, une période pré-West Wing. Les éléments chers à Sorkin se mettent en place progressivement et prennent toute leur ampleur dans les séries qu'il aura écrites après ce film. Vingt-cinq ans après sa sortie, ce film n'a pas perdu son intérêt et son attrait. La seule différence, c'est Twitter.

Bref, une bonne surprise qui n'a pas aidé mon insomnie.

dimanche 30 août 2020

Le livre perdu des sortilèges (Trilogie / Série TV) - Deborah Harkness

Je parle ici de ALL SOULS Trilogy : A Discovery of Witches / le livre perdu des sortilèges (2011), Shadow of Night / L’école de la nuit (2012), Book of Life / Le nœud de la sorcière (2014). Je ne parlerai pas du séquel qui se concentre sur Marcus paru en 2018. Je précise que je l'ai lu en VO, et pas en français, alors je ne pourrai pas juger de la qualité de la traduction.

L'autrice

Deborah Harkness a commencé à envisager d’écrire A Discovery of Witches dans un aéroport alors qu’elle attendait un vol [ce qu'on fait généralement dans un aéroport]. Nous sommes vers la fin des années 2000. La mode est à la fantasy urbaine avec des créatures fantastiques et de la magie dans un monde actuel, avec des lycéens / jeunes adultes qui rencontrent des vampires ou des loup-garous, ou se découvrent des pouvoirs surnaturels (ou les deux), après Twilight ou The Mortal Instruments pour ne citer qu'eux. De ce fait, il y a des dizaines d’ouvrages de ce genre sur les étagères des librairies. Deborah Harkness a envisagé sa trilogie en tant qu’exercice de pensée.

Il faut savoir qu’elle est historienne, enseigne l’histoire des sciences et de la médecine à l’université de Californie du sud, elle a écrit des ouvrages universitaires dont un qui a reçu un prix pour sa qualité. Son domaine d’étude est l’alchimie, la science, la magie, la cabale, à l’époque élisabéthaine. Elle a donc un solide bagage et sait de quoi elle parle. Et cela se ressent tout au long de cette trilogie.

L'histoire

L’histoire commence à Oxford, un peu avant le 21 septembre. L’équinoxe d'automne approche. Diana Bishop, historienne de renom d’une trentaine d’années, met la main sur un livre particulier, Ashmole 782. Arrive Matthew Clairmont, un vampire de 1500 ans environ, généticien qui fait des recherches sur les origines et l’évolution des créatures dans son laboratoire en compagnie de Miriam et Marcus. Ashmole 782, livre qu’on croyait perdu depuis des lustres, recèle bien des mystères et toutes les créatures (démons, vampires et sorciers) vont vouloir mettre la main dessus. Matthew et Diana vont se rapprocher, chercher à résoudre l'énigme du manuscrit, à protéger leur couple, et peut-être trouver une solution à l’extinction progressive des créatures (les démons sont en proie à la folie et au suicide, les sorciers perdent leurs pouvoirs, les vampires ont de plus en plus de mal à faire de nouveaux vampires).

Avis

L’intrigue est plutôt intéressante et bien menée, et l’univers est riche et tangible. C’est même le point fort de cette trilogie. L’autrice étant historienne, elle a vraiment travaillé la diégèse dans ses détails. A partir d’un thème à la mode (jeune femme rencontre vampire) elle a pris tous les aspects de ce genre de roman (la romance, la jeune femme qui s’éveille, le personnage masculin imbuvable), et les a élaborés, détournés, expliqués pour en faire quelque chose de sensé, réaliste et détaillé. La romance ? Une histoire complexe qui a un impact sur l’intrigue, et dans laquelle les deux concernés apprennent à s’accepter et s’apprivoiser. La jeune femme qui s’éveille ? Loin d’être une novice écervelée, elle a un sacré vécu, un sacré caractère qu’elle conserve de bout en bout. Le vampire possessif dirigiste ? Un homme qui se déprécie et cherche à guérir sa maladie, qui évolue et apprend à lâcher du lest.

Parlons de l’univers, qui est pour ainsi dire double. Il y a le monde actuel (les années 2009-2011 si je me souviens des dates !) et le monde élisabéthain (1590-1591). Dans les deux cas, tout est pensé et élaboré. Du côté contemporain, les lieux sont réels (ou inspirés de lieux réels) et bien représentés. L’autrice a réellement étudié/travaillé à Oxford, elle connaît les lieux, elle connaît la bibliothèque bodléienne, elle connaît les démarches de la recherche historique. Du côté du passé, l’histoire de situe à son époque de prédilection. Parlons par exemple du livre éponyme, Ashmole 782. Tout d’abord, Elias Ashmole a réellement existé, il a vraiment collecté des manuscrits, qui sont vraiment entreposés dans la bibliothèque bodléienne de l’Université d’Oxford. Ensuite, 782 est vraiment manquant. On ne sait pas si c’est une erreur d’étiquetage (et 782 n'existerait pas), ou s’il est vraiment manquant. Quoi qu’il en soit, il y a réellement un Ashmole 781 et un 783 avec un 782 dont on ne sait absolument rien. Autant en profiter pour y mettre de l’alchimie « pour de vrai ». Dans le monde de 1590, Matthew Clairmont s’appellait… Roydon. Qui a vraiment existé lui aussi mais dont on ne sait pas grand-chose. Autant imaginer un alias du vampire. On y croise aussi la reine Elisabeth, Kit Marlowe, Chapman, l’empereur Rudolf II à Prague, etc. Et ça fonctionne. En lisant cette trilogie, j’ai vraiment eu l’impression d’avoir affaire à une autrice qui maitrise son sujet.

Les créatures sont quant à elles bien fouillées (surtout les sorciers et les vampires), avec des explications pour leurs caractéristiques et actes. Les personnages principaux et leurs proches sont eux très bien caractérisés. Surtout Diana et Matthew. Les goûts, les hobbies, les actions des personnages trouvent tous une explication logique dans l’univers et ont un impact sur l’intrigue. Diana et Matthew font l’histoire de cette trilogie. Diana n’est pas simplement une jeune femme qui aime courir et faire de l’aviron. Elle a une vraie raison pour le faire, et s’y adonner a des répercussions sur ce qui lui arrive ensuite, et comment elle interagit avec son entourage. Matthew a un problème de gestion des émotions (pour ainsi dire), et cela trouve sa source dans l’intrigue même et sa résolution. C’est un personnage complexe qui se bat contre lui-même, essaie de se contrôler au possible pour ne rien laisser paraître, et cherche désespérément une solution.

Un autre aspect intéressant de cette trilogie, c’est le parallèle science/magie. Le livre Ashmole 782 est un livre magique pour ainsi dire, qui renferme des informations sur les créatures. Les vampires d’aujourd’hui sont plutôt branchés médecine, génétique, et Matthew cherche lui aussi les informations sur l’évolution des créatures, grâce à la science. Et les sorciers d’Ashmole et la science arrivent à la même conclusion (je ne vais pas non plus vous gâcher le plaisir en dévoilant le fin mot de l'histoire…)

Au-delà de cet aspect technique, les thèmes abordés sont multiples. On y trouve l’évolution, le changement, l’acceptation de soi et des autres, le pardon, l’empathie, la diversité et le fait que l’idée de « race pure » est une aberration totale. Il y a aussi la construction de soi, de son identité, l’ouverture à l’autre, la construction d’un couple à deux, avec des conversations, des compromis, plutôt que l’un qui dirige et l’autre qui ronge son frein. Certes, Matthew est possessif, mais Diana l’est tout autant, finalement. Ils sont assez fusionnels mais apprennent, l’un comme l’autre, à se tempérer et lâcher du lest. On a aussi une inversion de situation, où Matthew sauve Diana, et Diana sauve Matthew.

D’un point de vue personnel, je trouve que la possessivité et le côté fusionnel, c’est pas vraiment positif dans un couple. Chacun a le droit à son jardin secret et son individualité, et on n’a pas à tout faire ensemble. Chacun sa vie. Et c’est un peu ce que nos deux personnages principaux apprennent au fur et à mesure qu’ils avancent et se comprennent eux-mêmes. Après, ça reste un roman avec des créatures surnaturelles qui ont des instincts de loups, on ne va pas trop tirer sur l’ambulance.

Un dernier point que je voulais aborder est la narration. Elle est en grande majorité faite à la première personne du point de vue de Diana. Par conséquent, quand on a besoin d’informations extérieures à sa bulle, comme les actions d’autres personnages par exemple, on a, ici et là, un chapitre à la troisième personne, du point de vue de Matthew, ou de Marcus, ou d’un autre personnage. Cela rend le tout un peu bancal, mais c’est mon avis personnel. La narration à la première personne empêche de vraiment savoir ce qu’il se passe du point de vue de la Congrégation (l’espèce de gouvernement des Créatures – trois vampires, trois démons, trois sorciers), qui représente un adversaire de taille, puisque régissant les relations des créatures entre elles et avec le reste du monde (ne pas interférer avec la politique des humains, par exemple, ou empêcher les relations inter-espèces, ce que Diana et Matthew ne respectent pas).

La série TV


L’adaptation télévisée, de très bonne facture [malgré les faux-raccords - ha! cette manche de veste... ha! cette cravate...], corrige selon moi cet aspect de la narration en incluant les enjeux géopolitiques des créatures. On y voit les antagonistes, la Congrégation, ce qu’il se passe autour de Diana et Matthew et la chasse au manuscrit Ashmole 782. Cela donne un côté plus palpitant à l’ensemble. Par ailleurs, le casting est vraiment bon, et je trouve que Teresa Palmer et Matthew Goode sont très bien choisis. Difficile d'imaginer Diana et Matthew autrement désormais tant ils les incarnent comme il faut. De plus, la série est un peu plus diversifiée, et rend le personnage de Matthew plus sympathique et celui de Gerbert d’Aurillac (un vampire) beaucoup plus terrifiant (et Trevor Eve le fait bien). 
 
Il y a bien entendu des partis pris, des raccourcis, des changements, comme dans toute adaptation, mais ils ne nuisent en rien au déroulement de l'histoire et ne trahissent aucunement le matériau original. L'essence de l'intrigue est respectée. Le tout est un peu simplifié, plus direct (la découverte d'Ashmole 782 et l'intérêt des créatures, l'arrivée de Matthew...), et en même temps, les autres personnages, surtout les antagonistes, ont plus de présence (Marcus, la Congrégation, Juliette Durand...) et ça passe très bien. J'imagine mal les 300 premières pages adaptées telles quelles.

Une chose que je regrette, c’est l’utilisation des langues. OK, c’est une série, c’est américano-british, on parle anglais presque partout et on a des éléments de français et d’italien ici et là… Cependant, j’aurais aimé que l’aspect linguistique international soit plus poussé que ça. Pourquoi deux Vénitiens se causeraient-ils en anglais? [parce que les acteurs ne sont pas italiens, duh!] Néanmoins, c’est vraiment cool d’avoir deux trois passages en occitan !

La saison 2, qui suit l’intrigue du deuxième livre, arrivera sur les écrans en janvier 2021. Pour ma part j’ai hâte de voir ça, comment ils ont rendu 1590. Pour quelqu’un qui a écrit son mémoire de master sur la représentation de la France et des Français dans les histoires et comédies de Shakespeare, cette saison s’annonce fort intéressante.

Le mot de la fin

Pour conclure, c'est une bonne trilogie que j'ai découverte par hasard via l'adaptation sans savoir à quoi m'attendre. Et la série m'a assez plu pour que je lise (dévore, plutôt) les livres. Moi qui ne suis pas fan de romance, ça ne m'a pas dérangée du tout. Bref, une bonne découverte. D'ailleurs, je m'attaque à la version italienne du premier livre : Il libro della vita e della morte. Pile poil pour le Pumpkin Autumn Challenge.

 

Le Passeur (Livre / Film) - Lois Lowry

*Originellement publié en 2017*

Bonjour bonjour (ou bonsoir!). Pour ce billet, je vais parler à la fois d'un livre et d'un film. Il s'agit du roman de Lois Lowry paru en 1993, Le passeur (The Giver en VO) et du film du même nom, réalisé par Philip Noyce, avec Brenton Thwaites et Jeff Bridges (entre autres) et sorti  en 2014.

ATTENTION, IL Y A DU SPOIL ICI, MÊME SI JE NE DIS PAS LA FIN.

Passeur / Giver                 Passeur / Giver

J'ai d'abord vu le film et ce que j'ai vu m'a assez intriguée et plu pour que je lise le livre. Le roman a la réputation d'être parmi les premiers livres de dystopie pour ados, sinon le premier. Il se déroule dans un avenir qu'on devine à plusieurs générations de nous (au moins sept ou huit, je dirais), puisque cela fait très longtemps que la société décrite est telle qu'elle est et que plusieurs Passeurs se sont succédés, après ce qu'on a appelé la Ruine (la destruction du monde tel que nous le connaissons.)

Dans cet avenir, les hommes vivent dans des communautés où il n'y a que des émotions de surface (contentement, amitié simple, satisfaction, amusement) mais rien de profond (pas de haine, pas d'amour, pas de jalousie, etc.). Chacun a un rôle bien défini et suit des règles simples. L'enfance y est très balisée, et à chaque étape, il y a une cérémonie. Dès huit ans, ils font du bénévolat, ce qui aidera les anciens à déterminer leurs atouts et intérêts pour leur donner leur futur rôle dans cette société si parfaite, lisse, conformiste au possible. Cette attribution est donnée lors de la cérémonie des 12 ans, qui marque la fin de l'enfance et le début de la formation à la vie d'adulte.

L'histoire commence en hiver. Jonas a 11 ans et appréhende sa cérémonie. Lors de cette dernière, on ne lui attribue aucun rôle lors de la répartition. On le retient à la fin pour révéler au peuple qu'il a été sélectionné pour devenir le prochain Dépositaire de la Mémoire. Il suivra donc sa formation avec l'actuel historien/musée à mémoire de service, qui lui passe les souvenirs. Le passeur, c'est lui. Et Jonas apprend ce qu'était le monde avant la Ruine. Il apprend les sentiments, les couleurs, les relations humaines, le bon, le mal, la paix, la guerre... Est-ce bon de savoir tout ça? Ou est-ce meilleur de conserver la communauté telle qu'elle est?

Le film suit la trame générale, jusqu'à la fin, qui est à peu près pareille. En cela, dans le propos et les faits, les deux oeuvres sont assez similaires. Il y a tout de même des différences, des aspects, ou des caractéristiques des personnages qui sont passés à la moulinette de l'adaptation.

Tout d'abord, l'âge de Jonas et de ses amis. Il ont désormais 16 ans. Et je dois dire que c'est pour le mieux. Mon avis est qu'un gamin de 12 ans me paraît moins apte à vivre et accomplir ce qu'il fait dans le livre. Un adolescent rend l'histoire un peu plus crédible à mes yeux. Après, le choix d'en faire des ados était probablement influencé par le Dieu Argent et l'effet de beaux jeunes gens sur le public cible (un peu comme pour Percy Jackson, qui a subi la même croissance pour son passage sur grand écran).

Ensuite, les médicaments. Dans le roman, il est dit que tout le monde, dès les premiers signes de désir (sexuel), prend une pillule pour anesthésier ces effets. Dans le film, ce n'est pas précisé, et le médicament que les gens prennent semble être un fourre-tout imprécis. Ce n'est pas bien grave, mais ça aide à la compréhension de ce monde.

Pour continuer, Asher, le meilleur ami de Jonas et Fiona, devient pilote de drône car aventureux, hors dans le livre, il est plutôt maladroit et rigolo, ce qui fait de lui un futur responsable des loisirs. Ce changement n'a qu'un seul but selon moi: aider le scénario à avancer en y ajoutant une dose de tension et d'action. De quelqu'un assez accesoire (dans le roman), il devient un peu plus important voire essentiel pour le déroulement de l'histoire (dans le film.)

Il y a d'autres différences, mais elles sont moindres, dirais-je. Le propos du roman reste inchangé: la liberté, le libre-arbitre, les émotions, la mémoire, la différence, l'individualité sont des parties intégrantes de l'humanité et les retirer fait de nous des pâles fac-similés, dans un état finalement totalitaire et délateur.

Le livre se lit très rapidement. J'ai été pour ma part un peu sur ma faim à la fin, mais finalement ça reste ouvert. Peut-être faut-il lire les autres livres pour comprendre ces communautés et les conséquences des actes de Jonas. En tout cas, on comprend les enjeux et on découvre petit à petit, même si on s'en doutait vachement avant, quelles horreurs les gens de cette communauté commettent sans en avoir vraiment conscience, pour certains (la scène avec le nourricier et le bébé, aussi bien dans le roman que dans le film, fait froid dans le dos. C'est ça, leur perfection?)

Le film se suit très bien. Tout est en niveaux de gris, pour coller à l'atmosphère du roman, dans lequel on ne voit pas les couleurs. Et les couleurs apparaissent ici et là, au fur et à mesure que Jonas avance dans son apprentissage de la mémoire. J'ai trouvé l'acteur principal (Brenton Thwaites) convainquant, à la foix doux, hésitant, mais finalement déterminé. Les adultes font leur boulôt, les autres ados aussi. Tout se tient bien. Il y a bien quelques failles, notamment dans le montage, qui rend le tout maladroit. Par exemple, lors de la cérémonie, les ados défilent, on leur donne leur attributions, mais pour Asher et Fiona, on a droit à un speech qui résume les raisons de ces attributions. Cela rend le tout bancal. Il n'y a rien de ça dans le roman.

Il aurait aussi fallu apporter plus de nuances dans la différence entre les émotions de surface et les sentiments profonds. Quoi qu'il en soit, même un peu bancal, cela reste pour moi un beau film sur la recherche de soi, de la différence, de la mémoire, au même titre que le livre.

Livre: 7/10 - Film: 7/10

 

L'histoire du garçon à la jambe de bois - Morgane Deleval

*Originellement publié en 2017*

Une fois n'est pas coutume, je vais parler d'un livre écrit par une amie, et publié il y a déjà deux ans. Je l'ai acheté il y a quelques mois et je l'ai enfin lu. Il s'agit de L'histoire du garçon à la jambe de bois, de Morgane Deleval, paru chez Edilivre et disponible un peu partout il me semble.

Voici la quatrième de couv': Ira fonctionne par verrouillage automatique, comme un vieux réflexe presque confortable. Link est un puzzle. Il sent qu’il y a certaines pièces qui coincent, mais lesquelles ?
Leur rencontre va faire vaciller leurs certitudes. Des réponses à des questions qu’ils ne se posaient pas encore. Des vides insoupçonnés, comblés l’un par l’autre.
Ces deux garçons avancent sur un fil, comme des acrobates amusés et enivrés de leurs vertiges. Ils ignorent encore à quel point la corde est solide.
Aimer est le plus beau des risques.  

Autant écrire des trucs de romances grandiloquentes et barrées me fait marrer sur un forum RPG, autant en lire, de la romance, ce n'est pas forcément ma tasse de thé. Je suis pas la fille la plus romantique du monde (mon mec est plus romantique que moi!) mais quand c'est bien amené et que les personnages sont attachants, pourquoi pas!

C'est là la force de ce court (102 pages) roman. On va droit au but en zappant les détails annexes pour se concentrer sur Ira et Link, deux âmes blessées, chacune à leur manière. Deux caractères différents, deux façons de vivre différentes. Je me suis identifiée aussi bien à Ira (qui me fait quand même l'effet d'être un connard XD) qu'à Link, pour leur fonctionnement et ressentis, justement. L'un fonctionne par verrouillage automatique, l'autre est très effacé et décalé. Et ce sont des caractéristiques crédibles, réalistes, et je sais de quoi je parle^^. Même si ma vie ne ressemble en rien à celle des deux protagonistes, ils sont assez réels pour qu'on les suive, s'attache à eux.

Deuxième point fort, le découpage. Leur histoire, leurs problèmes, ne se résolvent pas comme par magie en trois coups de cuiller à pot, au contraire. Cela prend du temps, des mois, une année (temps du roman) et la fin n'est pas la fin, justement. Mais on suit ces deux garçons, mois après mois, dans cette année charnière durant laquelle leurs convictions vont tomber et ils vont devoir affronter leurs peurs et leur démons pour s'en sortir grandis.

J'ai quelques petits bémols à accorder, mais qui n'entâchent pas vraiment ni la lecture, ni l'histoire dans sa globalité. Si on connaît le background d'Ira, sa famille, ses relations avec elle, on ignore presque tout de Link, à part qu'il a une meilleure amie. J'aurais aimé en savoir plus sur lui. En même temps, c'est cette part de mystère, de garçon qui ne se dévoile pas, qui fait aussi son charme. Il est effacé, dans tous les sens du terme, et prend de plus en plus d'importance, dans l'histoire comme dans sa manière d'intéragir avec les autres.

Le livre est réellement du point de vue d'Ira et de Link. Et ça se ressent dans le quasi anonymat des autres personnages qui vont et viennent. Ira ignore volontairement les autres, Link est limite un figurant dans sa propre vie, donc dans celle des autres.

En bref, une très bonne lecture, sur un ton très agréable à lire, avec des dialogues tantôt cinglants, tantôt ironiques, qu'on aimerait sortir plus souvent. Des paroles actuelles, qu'on dirait nous mêmes, qu'on entendrait facilement. Bref, pas du surjoué, ni du jeunisme raté (Mais si! c'est 'bleu-ssi-po! si vous vous souvenez de la pub SNCF xd).

Les étoiles de Noss Head 1 - Sophie Jomain

 Originellement publié en 2017

Cet été, en juillet il me semble, mais ça pouvait tout aussi bien être en juin voire avant, mais au fond, on s'en tamponne le coquillard avec un cubitus de gastéropode, j'ai lu le tome 1 des Etoiles de Noss Head, de Sophie Jomain.

Je le dis tout de suite, je l'ai lu principalement parce que ça se passe en Ecosse (et que beaucoups de lecteurs sur Livraddict étaient emballés).

Les étoiles de Noss Head

Mais alors, qu'est-ce que c'est quoi dis donc?

Les étoiles de Noss Head, c'est le premier tome d'une saga urban fantasy, écrite par Sophie Jomain. C'est l'histoire d'une jeune fille de 17 ans, Hannah, qui est forcée de passer un été à Wick, en Ecosse, chez sa grand-mère. Donc, elle râle. En même temps on la comprend, les Ecossais eux-même se moquent de Wick. Bref.

Enfin, elle râle jusqu'à ce qu'elle croise ce beau gosse de Leith, sombre et mystérieux jeune homme dont la principale qualité est d'être canon. Il est donc ténébreux, ne dit pas grand chose, mais les deux jeunes gens sont attirés l'un par l'autre et Hannah va découvrir un monde qui la dépasse...

Mais alors, qu'est-ce que j'en pense quoi?

Que j'ai eu l'impression d'être vingt ans trop vieille? XD.

Sérieusement, j'ai trouvé cette histoire rapide, sans vraiment de surprise, ni même très intéressante. Le meilleur étant sans doute la mythologie des loups-garous, qui me semble sortir de l'ordinaire, même si capillotractée.

En fait, j'étais sans cesse agacée par les personnages.

Commençons par Hannah, qui se décrit dans le miroir, hein, pour faire dans l'originalité. Mais passe encore. Elle se définit elle-même comme quelqu'un assez solitaire et cérébral, qui pense à ses études, etc. et ne songe pas du tout à rencontrer l'amour. C'est limite si elle sait que les sentiments existent. Et paf, peu après, elle rencontre un type qui la désarçonne et elle va craquer pour lui. La suite, c'est qu'elle se mettra consiemment en danger tout au long du roman, en dépit du bon sens.

Voyons ensuite Leith (prononcez "leeth" avec un long i et le th de 'cloth' - comme la banlieue/district d'Edimbourg). Grand, beau, ténébreux, mystérieux (sinon il serait relégué dans la "friendzone"). Il est en fait imbuvable. Sous prétexte de protéger Hannah, il ne lui en dit pas trop et est dirigiste au possible - il donne des ordres plus que des conseils. Et il en vient même à la force envers elle. Sympa. Comme Hannah est curieuse, elle ne suivra pas les conseils de Leith, bien évidemment. Et il devra la sauver régulièrement.

Et le meilleur ami d'enfance, Davis, est crétin qui pense avoir le droit de forcer une fille pour lui dire qu'il l'aime. Mais tout va bien dans le meilleur des mondes. Entre un potentiel/futur petit ami dirigiste et imposant, et un crétin qui a failli la violer, elle est vachement bien entourée, Hannah.

Sérieusement, avoir des personnages masculins comme ça, qui ne font face à aucune conséquence vis à vis de leurs comportements abusifs, je trouve ça alarmant. - Bon on n'est pas au niveau de Christian Grey, respire!

Autres points qui m'ont fait tiquer, ce sont les descriptions - succinctes - du système écossais. J'ai été à la fac à Glasgow (et pas en échange, hein), et il se trouve que je suis prof dans le secondaire en Ecosse. Ce qui fait que je sais comment ça se passe pour intégrer une fac (avec la candidature, l'entretien), et comment devenir prof en Ecosse. Du coup, j'ai pas mal roulé des yeux. Mais je suppose que les adolescentes / jeunes adultes françaises (public cible à mon avis) n'ont pas toutes ces infos en tête, donc ça passe.

Oui, parce que fin été, Hannah qui dit qu'elle s'est inscrite à St Andrews, on croirait ça sortit d'un chapeau, genre, je vais à la fac signer un papier et pouf je suis étudiante. La mère qui obtient un job de prof  comme ça, comme c'est facile! (après, pour ce dernier point, je vais être indulgente, c'est l'histoire de la fille, pas de la mère. La mère a très bien pu postuler, avoir un job, obtenu une équivalence auprès du GTCS pour pouvoir être prof là-bas. On en sait rien mais c'est tout à fait possible.)

Question fac, Leith est en première année d'histoire. Première année de licence il me semble. C'est important de retenir ça, parce qu'à l'entendre décrire ses études, on le croirait en master...

Je suis peut-être chiante à chercher la petite bête, mais pour moi ces défauts sont trop présents pour avoir un vrai bon roman. Pourtant, je voulais l'aimer; il a eu de bonnes critiques (auprès du public cible?) et je me disais que ce serait chouette. Après, oui, ça se lit bien, c'est sympathique, puis y'a un passage qui se situe aux Orcades (et ceux qui me connaissent savent à quel point j'aime mes petits îles du nord pour y avoir vécu deux ans), donc j'étais quand même contente qu'un roman YA sorte un peu des sentiers battus pour se passer à Wick - sérieusement, Wick! - et aux Orcades.

Je ne sais pas, peut-être suis-je trop vieille pour être réceptive à ce genre d'histoire. Pourtant il me semble important de dire qu'avec de tels personnages principaux, selon moi, on ne délivre pas un message très positif sur les relations hommes-femmes.

Quelle note? Bouargh, allez, 4/10 pour l'ambiance, les points originaux, et les Orcades.

I Don't Want To Kill You - Dan Wells

Lecture du Pumpkin Autumn Challenge 2017

Voici enfin ma première lecture du challenge. J'en aurai mis du temps, mais entre un boulot prenant et une sinusite carabinée, j'ai pas tellement eu ni l'occasion ni la motivation de vraiment me plonger dans un livre.

C'est chose faite!

I don't Want to Kill You, de Dan Wells, entre dans le menu 'Automne Frissonnant', catégorie "Hurlons dans les bois".

I Don't Want to Kill You - Dan Wells

Mais alors, ça raconte quoi?

C'est l'histoire de John Wayne Cleaver, lycéen de seize ans et accessoirement sociopathe à tendance "je rêve de t'embaumer", qui part à la chasse aux démons dans sa petite ville paumée.

Ceci est le troisième tome de la saga John Cleaver. Alors si vous n'avez pas lu les deux premiers tomes, je n'ai pas tellement envie de vous gâcher le plaisir. Sachez seulement qu'il y a eu des meurtres dans sa ville, et que, passionné de tueurs en série, il a vite repéré le schéma et a mené son enquête. Le tout a pris une dimension surnaturelle inattendue - tant pour John que pour la lectrice que je suis, qui ne savait pas que ça allait être fantastique, et pas seulement un thriller façon "mini Dexter".

Les tueurs des deux premiers romans ont un lien, et à la fin du deuxième, John décide de dézinguer les tueurs. Il attire donc le tueur du troisième tome pour le débusquer et l'éliminer.

Mais, quand on joue au jeu du chat et de la souris avec un tueur en série, on est bien souvent la souris. Donc, dans ce tôme, John, qui a du mal à ne pas céder à ses pulsions meurtrières, mène sa propre enquête avec Marci, la fille de l'officier. Un tueur en série sévit de nouveau en ville, et John est convaincu qu'il s'agit de Son Tueur tant recherché... Mais les apparences sont souvent trompeuses.

J'en pense quoi?

Que c'est vraiment pas mal du tout! J'avais bien aimé les deux premiers tomes, et ce troisième clôt plutôt bien cette première trilogie tout en laissant une fin ouverte vers la deuxième trilogie. C'est un tome assez lourd dans le sens où les meurtres ne sont pas piqués des hannetons, et que John perd énormément.

L'écriture est assez simple et directe. Ecrite à la première personne, l'histoire nous plonge dans la tête de John assez habilement. Nous nous posons des questions avec les éléments qu'il a en tête. (Et j'étais vraiment pas loin de la vérité quant à l'identité du démon). C'est rythmé, dynamique, assez halentant pour ne nous faire poser le livre qu'une fois le dernier mot lu.

L'intrigue en elle-même est bien menée, elle nous ballade de meurtre en meurtre avec envie d'en savoir plus - ce qui passe par un autre meurtre pour avoir de nouveau éléments. Autant John est sociopathe, autant on s'attache quand même à lui, vivant cette enquête avec lui. De ce point de vue, c'est bien joué. Après, je ne suis pas spécialiste du sujet, et si John est réaliste ou pas dans sa dimension de sociopathe, je l'ignore.

En tout cas, c'est un jeune homme qui cherche la connexion aux autres, qui se cherche lui-même. Et il parvient enfin à identifier ses sentiments après avoir beaucoup perdu. Il découvre une partie de son humanité en payant le prix fort.

Pour ma part, j'ai vraiment aimé cette journée lecture en compagnie de John. 16/20.

I Don't Want to Kill You - Dan Wells

Ender's Game

 *originellement publié le 16 novembre 2013* 

Ender's Game (ou La stratégie Ender en VF, titre qui ne traduit hélas absolument pas l'ambiguité du titre VO) est au départ un roman de science fiction d'Orson Scott Card, paru en 1985, je crois et qui a reçu de prestigieux prix comme les Hugo et Nebula.

Ender's Game

C'est l'histoire d'un jeune garçon, Andrew "Ender" Wiggin, surdoué de son état, recruté par les militaires pour intégrer une école de guerre afin de faire de lui le futur commandant de la flotte terrestre contre un ennemi extraterrestre, les Formics (ou Doryphores en vf), contre qui l'humanité s'est battue avec pertes et fracas cinquante ans plus tôt.

Le film est étonnement fidèle au roman malgré les coupes et les racourcis. Pour pouvoir réduire le roman à un film d'une heure et demie ou deux heures, il a fallu rétrécir la timeline. Le roman se déroule sur sept ans, et suit la progression d'Ender, surmontant les épreuves et la pression qu'on lui met volontairement pour le tester. Le film se déroule sur quelques mois.

Le livre partait d'Andrew à l'âge de six ans pour arriver à treize ans. Le film se contente d'un Andrew déjà adolescent. C'est un choix judicieux, car ce qui fonctionne dans un roman ne fonctionne pas forcément dans un film. Imaginez deux heures de film avec trois ou quatre acteurs différents pour le même rôle? Cela aurait de quoi dérouter le spectateur. Et l'avantage d'un Andrew adolescent est de rendre l'histoire et les personnages plus crédibles. Voir un gamin de six ans accomplir ces actes n'aurait sans doute aucun intérêt, d'autant plus que le sujet est respecté.

Le tout n'est pas simplement de voir l'apprentissage de jeunes enfants et ados pour devenir de parfaits soldats et excellents stratèges, dans une guerre imminente, mais de voir le rôle des adultes, et la manipulation dont ils font usage pour former ces jeunes comme ils le souhaitent. Le film, en cela, garde la cruauté du propos du livre. Et c'est là que le titre français ne fait pas honneur à ce thème. Jusqu'à a fin, Andrew croit que c'est une simulation, un JEU (Game). Ce sont des enfants qui jouent à la guerre. Sous l'oeil des adultes qui les encouragent, leur mettent la pression.

Ils ont trouvé un candidat prometteur en la personne d'Andrew Wiggin, troisième d'une fratrie dans un monde qui n'autorise plus que deux naissances. Il est donc un outsider, persécuté par son psychopathe de grand-frère, Peter, et aidé par sa douce grande soeur, Valentine. Andrew est un garçon qui voudrait qu'on lui foute la paix. Il est naturellement gentil, mais il dispose d'un sens de la survie tel qu'il n'ésite pas à écraser ses adversaires dès le premier combat, pour ne pas avoir à combattre une deuxième fois.

Pour jouer ce garçon à la fois candide, innocent, et pourtant vindicatif, Asa Butterfield (déjà vu dans Hugo Cabret où il tenait le rôle titre) est parfait. Son grand regard bleu nous fait parvenir toutes les émotions. C'est d'ailleurs l'un des atouts du film. Les autres jeunes acteurs sont tous très bons. En fait, je les trouve meilleurs que les adultes; Harrison Ford (le chef militaire prêt à tout pour gagner cette guerre, pro de la manipulation et de la fin justifie les moyens), se contente de faire la moue et de proférer ses paroles avec un air pas content et autoritaire.

Les séances d'entrainement dans la salle 0-Gravité sont bien rendues. Et j'aurais aimé qu'on s'y attarde un peu, rien que pour le fun. Oui, saymal. XD.

J'ai bien aimé ce film. Je ne savais pas vraiment à quoi m'attendre, en réalité. Il n'est pas parfait, loin de là, et cela est dû principalement à la gestion du temps. On passe trop vite sur certains aspects. On montre bien le côté enfantin et sérieux de ces enfants, qui s'amusent comme des gosses en découvrant l'apesanteur, mais redeviennent des petits soldats dès qu'il faut vaincre le camp adverse. Mais on passe trop vite sur certains cheminements d'Andrew, ce qui fait que parfois, il est difficile de s'identifier à lui.

Dans le livre, il y a une intrigue parallèle, qui se passe sur terre, et concerne Valentine et Peter, qui, sous des pseudos, prennent le contrôle de la sphère intellectuelle et politique sur les réseaux sociaux. Le film n'en parle absolument pas, et ce n'est pas plus mal. Certes, c'est une intrigue très intéressante et visionnaire (imaginer le pouvoir de Facebook plus de vingt ans avant sa création, c'est fort!), mais n'apporte pas grand-chose, d'autant plus que le côté visionnaire de l'oeuvre n'existe plus dans notre époque où les jeunes sont nourris à la technologie dès le berceau. L'impact n'existe pas pour eux.

Au fond, ce n'est pas un film très impressionnant. Et ce n'est pas négatif. J'entends par là que je n'ai pas eu l'impression d'avoir regardé un blockbuster ordinaire. Il n'a pas tant d'ampleur ni le côté épique qu'un blockbuster sci-fi lambda aurait eu - ou tenté d'avoir. Il reste simple, à sa mesure, et je n'ai pas non plus l'impression qu'on a foutu des effets spéciaux rien que parce qu'on pouvait en mettre. Certes, c'est high-tech, mais ça reste raisonnable et totalement justifié. Même la bataille finale, car c'est une simulation, parce que c'est la bataille de l'humanité conttre les Doryphores, donc forcément, ça se doit d'avoir une certaine ampleur en ressources, en munitions, etc. Il n'y a pas d'esbrouffe, et ça, j'ai plutôt apprécié.

Mais surtout, le film pose des questions. La guerre à coups de drônes. Les dommages collatéraux "nécessaires", les limites qu'on s'impose, ou qu'on repousse sans cesse, au nom du bien fondé d'une cause... était-ce réellement bien fondé? La compréhension de son énnemi. Le respecter. Un héros peut-il être génocide? C'est un peu maladroit dans le traitement, mais elles sont le mérite d'exister. Et elles font bizarrement écho au monde actuel. Je ne rentrerai pas dans la polémique Orson Scott Card, mais Ender, avec trois cents pages, foisonne d'idées en avance sur leur temps à l'époque, et trouve aujourd'hui une signification bien particulière.

Bref, j'ai passé une bonne soirée!