dimanche 30 août 2020

Le livre perdu des sortilèges (Trilogie / Série TV) - Deborah Harkness

Je parle ici de ALL SOULS Trilogy : A Discovery of Witches / le livre perdu des sortilèges (2011), Shadow of Night / L’école de la nuit (2012), Book of Life / Le nœud de la sorcière (2014). Je ne parlerai pas du séquel qui se concentre sur Marcus paru en 2018. Je précise que je l'ai lu en VO, et pas en français, alors je ne pourrai pas juger de la qualité de la traduction.

L'autrice

Deborah Harkness a commencé à envisager d’écrire A Discovery of Witches dans un aéroport alors qu’elle attendait un vol [ce qu'on fait généralement dans un aéroport]. Nous sommes vers la fin des années 2000. La mode est à la fantasy urbaine avec des créatures fantastiques et de la magie dans un monde actuel, avec des lycéens / jeunes adultes qui rencontrent des vampires ou des loup-garous, ou se découvrent des pouvoirs surnaturels (ou les deux), après Twilight ou The Mortal Instruments pour ne citer qu'eux. De ce fait, il y a des dizaines d’ouvrages de ce genre sur les étagères des librairies. Deborah Harkness a envisagé sa trilogie en tant qu’exercice de pensée.

Il faut savoir qu’elle est historienne, enseigne l’histoire des sciences et de la médecine à l’université de Californie du sud, elle a écrit des ouvrages universitaires dont un qui a reçu un prix pour sa qualité. Son domaine d’étude est l’alchimie, la science, la magie, la cabale, à l’époque élisabéthaine. Elle a donc un solide bagage et sait de quoi elle parle. Et cela se ressent tout au long de cette trilogie.

L'histoire

L’histoire commence à Oxford, un peu avant le 21 septembre. L’équinoxe d'automne approche. Diana Bishop, historienne de renom d’une trentaine d’années, met la main sur un livre particulier, Ashmole 782. Arrive Matthew Clairmont, un vampire de 1500 ans environ, généticien qui fait des recherches sur les origines et l’évolution des créatures dans son laboratoire en compagnie de Miriam et Marcus. Ashmole 782, livre qu’on croyait perdu depuis des lustres, recèle bien des mystères et toutes les créatures (démons, vampires et sorciers) vont vouloir mettre la main dessus. Matthew et Diana vont se rapprocher, chercher à résoudre l'énigme du manuscrit, à protéger leur couple, et peut-être trouver une solution à l’extinction progressive des créatures (les démons sont en proie à la folie et au suicide, les sorciers perdent leurs pouvoirs, les vampires ont de plus en plus de mal à faire de nouveaux vampires).

Avis

L’intrigue est plutôt intéressante et bien menée, et l’univers est riche et tangible. C’est même le point fort de cette trilogie. L’autrice étant historienne, elle a vraiment travaillé la diégèse dans ses détails. A partir d’un thème à la mode (jeune femme rencontre vampire) elle a pris tous les aspects de ce genre de roman (la romance, la jeune femme qui s’éveille, le personnage masculin imbuvable), et les a élaborés, détournés, expliqués pour en faire quelque chose de sensé, réaliste et détaillé. La romance ? Une histoire complexe qui a un impact sur l’intrigue, et dans laquelle les deux concernés apprennent à s’accepter et s’apprivoiser. La jeune femme qui s’éveille ? Loin d’être une novice écervelée, elle a un sacré vécu, un sacré caractère qu’elle conserve de bout en bout. Le vampire possessif dirigiste ? Un homme qui se déprécie et cherche à guérir sa maladie, qui évolue et apprend à lâcher du lest.

Parlons de l’univers, qui est pour ainsi dire double. Il y a le monde actuel (les années 2009-2011 si je me souviens des dates !) et le monde élisabéthain (1590-1591). Dans les deux cas, tout est pensé et élaboré. Du côté contemporain, les lieux sont réels (ou inspirés de lieux réels) et bien représentés. L’autrice a réellement étudié/travaillé à Oxford, elle connaît les lieux, elle connaît la bibliothèque bodléienne, elle connaît les démarches de la recherche historique. Du côté du passé, l’histoire de situe à son époque de prédilection. Parlons par exemple du livre éponyme, Ashmole 782. Tout d’abord, Elias Ashmole a réellement existé, il a vraiment collecté des manuscrits, qui sont vraiment entreposés dans la bibliothèque bodléienne de l’Université d’Oxford. Ensuite, 782 est vraiment manquant. On ne sait pas si c’est une erreur d’étiquetage (et 782 n'existerait pas), ou s’il est vraiment manquant. Quoi qu’il en soit, il y a réellement un Ashmole 781 et un 783 avec un 782 dont on ne sait absolument rien. Autant en profiter pour y mettre de l’alchimie « pour de vrai ». Dans le monde de 1590, Matthew Clairmont s’appellait… Roydon. Qui a vraiment existé lui aussi mais dont on ne sait pas grand-chose. Autant imaginer un alias du vampire. On y croise aussi la reine Elisabeth, Kit Marlowe, Chapman, l’empereur Rudolf II à Prague, etc. Et ça fonctionne. En lisant cette trilogie, j’ai vraiment eu l’impression d’avoir affaire à une autrice qui maitrise son sujet.

Les créatures sont quant à elles bien fouillées (surtout les sorciers et les vampires), avec des explications pour leurs caractéristiques et actes. Les personnages principaux et leurs proches sont eux très bien caractérisés. Surtout Diana et Matthew. Les goûts, les hobbies, les actions des personnages trouvent tous une explication logique dans l’univers et ont un impact sur l’intrigue. Diana et Matthew font l’histoire de cette trilogie. Diana n’est pas simplement une jeune femme qui aime courir et faire de l’aviron. Elle a une vraie raison pour le faire, et s’y adonner a des répercussions sur ce qui lui arrive ensuite, et comment elle interagit avec son entourage. Matthew a un problème de gestion des émotions (pour ainsi dire), et cela trouve sa source dans l’intrigue même et sa résolution. C’est un personnage complexe qui se bat contre lui-même, essaie de se contrôler au possible pour ne rien laisser paraître, et cherche désespérément une solution.

Un autre aspect intéressant de cette trilogie, c’est le parallèle science/magie. Le livre Ashmole 782 est un livre magique pour ainsi dire, qui renferme des informations sur les créatures. Les vampires d’aujourd’hui sont plutôt branchés médecine, génétique, et Matthew cherche lui aussi les informations sur l’évolution des créatures, grâce à la science. Et les sorciers d’Ashmole et la science arrivent à la même conclusion (je ne vais pas non plus vous gâcher le plaisir en dévoilant le fin mot de l'histoire…)

Au-delà de cet aspect technique, les thèmes abordés sont multiples. On y trouve l’évolution, le changement, l’acceptation de soi et des autres, le pardon, l’empathie, la diversité et le fait que l’idée de « race pure » est une aberration totale. Il y a aussi la construction de soi, de son identité, l’ouverture à l’autre, la construction d’un couple à deux, avec des conversations, des compromis, plutôt que l’un qui dirige et l’autre qui ronge son frein. Certes, Matthew est possessif, mais Diana l’est tout autant, finalement. Ils sont assez fusionnels mais apprennent, l’un comme l’autre, à se tempérer et lâcher du lest. On a aussi une inversion de situation, où Matthew sauve Diana, et Diana sauve Matthew.

D’un point de vue personnel, je trouve que la possessivité et le côté fusionnel, c’est pas vraiment positif dans un couple. Chacun a le droit à son jardin secret et son individualité, et on n’a pas à tout faire ensemble. Chacun sa vie. Et c’est un peu ce que nos deux personnages principaux apprennent au fur et à mesure qu’ils avancent et se comprennent eux-mêmes. Après, ça reste un roman avec des créatures surnaturelles qui ont des instincts de loups, on ne va pas trop tirer sur l’ambulance.

Un dernier point que je voulais aborder est la narration. Elle est en grande majorité faite à la première personne du point de vue de Diana. Par conséquent, quand on a besoin d’informations extérieures à sa bulle, comme les actions d’autres personnages par exemple, on a, ici et là, un chapitre à la troisième personne, du point de vue de Matthew, ou de Marcus, ou d’un autre personnage. Cela rend le tout un peu bancal, mais c’est mon avis personnel. La narration à la première personne empêche de vraiment savoir ce qu’il se passe du point de vue de la Congrégation (l’espèce de gouvernement des Créatures – trois vampires, trois démons, trois sorciers), qui représente un adversaire de taille, puisque régissant les relations des créatures entre elles et avec le reste du monde (ne pas interférer avec la politique des humains, par exemple, ou empêcher les relations inter-espèces, ce que Diana et Matthew ne respectent pas).

La série TV


L’adaptation télévisée, de très bonne facture [malgré les faux-raccords - ha! cette manche de veste... ha! cette cravate...], corrige selon moi cet aspect de la narration en incluant les enjeux géopolitiques des créatures. On y voit les antagonistes, la Congrégation, ce qu’il se passe autour de Diana et Matthew et la chasse au manuscrit Ashmole 782. Cela donne un côté plus palpitant à l’ensemble. Par ailleurs, le casting est vraiment bon, et je trouve que Teresa Palmer et Matthew Goode sont très bien choisis. Difficile d'imaginer Diana et Matthew autrement désormais tant ils les incarnent comme il faut. De plus, la série est un peu plus diversifiée, et rend le personnage de Matthew plus sympathique et celui de Gerbert d’Aurillac (un vampire) beaucoup plus terrifiant (et Trevor Eve le fait bien). 
 
Il y a bien entendu des partis pris, des raccourcis, des changements, comme dans toute adaptation, mais ils ne nuisent en rien au déroulement de l'histoire et ne trahissent aucunement le matériau original. L'essence de l'intrigue est respectée. Le tout est un peu simplifié, plus direct (la découverte d'Ashmole 782 et l'intérêt des créatures, l'arrivée de Matthew...), et en même temps, les autres personnages, surtout les antagonistes, ont plus de présence (Marcus, la Congrégation, Juliette Durand...) et ça passe très bien. J'imagine mal les 300 premières pages adaptées telles quelles.

Une chose que je regrette, c’est l’utilisation des langues. OK, c’est une série, c’est américano-british, on parle anglais presque partout et on a des éléments de français et d’italien ici et là… Cependant, j’aurais aimé que l’aspect linguistique international soit plus poussé que ça. Pourquoi deux Vénitiens se causeraient-ils en anglais? [parce que les acteurs ne sont pas italiens, duh!] Néanmoins, c’est vraiment cool d’avoir deux trois passages en occitan !

La saison 2, qui suit l’intrigue du deuxième livre, arrivera sur les écrans en janvier 2021. Pour ma part j’ai hâte de voir ça, comment ils ont rendu 1590. Pour quelqu’un qui a écrit son mémoire de master sur la représentation de la France et des Français dans les histoires et comédies de Shakespeare, cette saison s’annonce fort intéressante.

Le mot de la fin

Pour conclure, c'est une bonne trilogie que j'ai découverte par hasard via l'adaptation sans savoir à quoi m'attendre. Et la série m'a assez plu pour que je lise (dévore, plutôt) les livres. Moi qui ne suis pas fan de romance, ça ne m'a pas dérangée du tout. Bref, une bonne découverte. D'ailleurs, je m'attaque à la version italienne du premier livre : Il libro della vita e della morte. Pile poil pour le Pumpkin Autumn Challenge.

 

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire