samedi 5 septembre 2020

Le président et miss Wade - Rob Reiner, 1995

En flânant sur Netflix alors que je ne parvenais pas à dormir (y'a des nuits comme ça), je suis tombée sur The American President, avec Michael Douglas et Annette Benning dans les rôles principaux. Ce film date de 1995 et a été écrit par Aaron Sorkin. Ces deux informations sont essentielles, nous le verrons plus tard.

Sur le papier, nous avons une comédie romantique. Mettez deux individus qui n'ont pas grand-chose en commun, faites-les se rencontrer de manière amusante, laissez l'alchimie faire son travail, mettez-y un élément perturbateur, une rupture et des retrouvailles, et vous obtenez la trame classique de ce genre de film. Vous voulez un film marrant aux scènes parfois invraisemblables mais pour un ensemble assez charmant ? Confiez le scénario à Richard Curtis (4 mariages et 1 enterrement, Notting Hill, Love Actually). Vous voulez un film un peu plus piquant avec une critique de la politique et des médias ? Confiez le boulot à Aaron Sorkin.

Je n'avais qu'un vague souvenir de ce Président et Miss Wade. A vrai dire, je me souvenais l'avoir vu, mais je ne me souvenais plus quand, ni de ce qu'il s'y passait vraiment. Bref, il était parti aux oubliettes comme beaucoup de films vus il y a longtemps. Mais entre temps, j'ai vu The West Wing, j'ai vu The Social Network, j'ai vu The Newsroom. Le point commun? Aaron Sorkin, encore lui.

Mais d'abord, de quoi ça parle?

Andrew Shepherd est le président démocrate au taux d'approbation de 63%, et donc bien parti pour gagner un second mandat. L'action se passe durant l'année cruciale qui conduit aux élections présidentielles. Il a deux propositions de loi sur le feu. L'une pour contrôler le crime (et donc les armes) que les Rébuplicains ne veulent pas et que les Démocrates jugent trop faible. L'autre pour imposer une réduction des gaz à effet de serre de 20%. Autant dire que faire passer ces deux lois va demander pas mal de boulôt de persuasion... Entre en scène Sydney Ellen Wade, lobbyiste environnementaliste engagée pour convaincre Shepherd de conserver la réduction de 20% pour s'assurer du soutient des lobbies écolos. La rencontre entre les deux est drôle, maladroite, avec un Michael Douglas goguenard et une Annette Benning adorable et au timing comique au poil. Ils vont se revoir, tomber amoureux... Et le sénateur Rumson, candidat républicain pour la présidence en profite pour attaquer Shepherd sur son caractère et son manque de valeurs.

L'alchimie entre les acteurs est là, y compris avec les seconds rôles, interprétés entre autres par Martin Sheen, Michael J. Fox, Samantha Mathis. Une belle brochette d'acteurs, ça fait toujours plaisir. Les situations comiques sont discrètes mais efficaces. Les dialogues sont ciselés et dynamiques. La romance est là, bien évidemment. Et en fait de comédie romantique, Aaron Sorkin et Rob Reiner nous livrent une véritable étude de caractère. Le film se fait miroir à lui-même, avec le sénateur Rumson (Richard Dreyfus), qui attaque la vie privée de son concurrent, attaque Sydney Wade et ses moeurs, le tout avec la complicité des médias. Pendant une grande partie du film, Shepherd ne répond pas, disant que sa vie privée n'a rien à voir, et que ça finira par se tasser. Mais il perd des voix, il perd le soutient de la population et des grands électeurs, jusqu'à devoir enterrer l'accord sur les 20% de réduction de gaz, et ce malgré les avertissements de son équipe. 

Que faire quand on attaque le caractère plutôt que les actes ? Les attaques ad hominem sont monnaie courante et dénotent souvent un manque d'arguments solides pour défendre son cas. Faut-il laisser couler, entrer dans le jeu ? Sorkin décrit les conséquences du laissez-faire. Il y a un dialogue entre Lewis (MJ Fox) et le président qui résume bien à quel point c'est pernicieux et dangereux. Les gens qui n'ont rien à boire finissent par boire le sable. Ce à quoi Shepherd répond que les gens boivent le sable parce qu'ils ne savent pas faire la différence avec de l'eau.

La critique de Sorkin est là. Les gens boivent les paroles de Rumson parce qu'ils n'ont rien d'autre à se mettre sous la dent. Mais aussi parce qu'ils ne sont pas conscients de bouffer du sable, que ce n'est pas le fait d'avoir une petite amie qui fait de Shepherd un mauvais président ou une mauvaise personne. Il y a toute l'hypocrisie de la société bien-pensante qui y passe. Ce qui rend ce film bien plus intéressant qu'il n'y parait de prime abord.

Autre trait Sorkinien, les idéaux politiques. Ce film date de 1995. Il a exactement vingt-cinq ans. Où en sommes-nous en 2020 ? Toujours au même point. Autant de bâtons dans les roues pour qui veut régulariser la vente et le port d'armes. Toujours des barrières levées contre qui veut réduire les émissions de gaz. Toujours autant d'hypocrisie sur la religion, le caractère. Et c'est encore plus flagrant aujourd'hui avec Trump. La pensée Sorkinienne se retrouve aussi dans the West Wing (A la Maison Blanche), créée quelques années plus tard avec Martin Sheen dans le rôle du président, cela se retrouve aussi dans The Newsroom, série beaucoup plus récente sur les dessous d'une chaine d'information.

D'ailleurs Le Président... et The Newsroom commencent quasiment par la même question, le même constat. Les USA ne sont pas (plus) le meilleur/plus grand pays du monde. The West Wing comporte beaucoup d'éléments tirés de réécritures du scénario du Président... Par exemple, l'histoire du nombre de votes à obtenir.

Le Président et Miss Wade représente donc une ébauche, une période pré-West Wing. Les éléments chers à Sorkin se mettent en place progressivement et prennent toute leur ampleur dans les séries qu'il aura écrites après ce film. Vingt-cinq ans après sa sortie, ce film n'a pas perdu son intérêt et son attrait. La seule différence, c'est Twitter.

Bref, une bonne surprise qui n'a pas aidé mon insomnie.

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